L'INCAPACITE MENAGERE

A la suite d’un fait dommageable, la victime subit un préjudice qu’il convient d’évaluer de la manière la plus juste possible et de réparer de manière intégrale.

 

Le Tableau Indicatif distingue trois domaines distincts : la vie personnelle (extrapatrimoniale), les activités ménagères et la vie professionnelle. « Chaque atteinte à ces différentes sphères d'activités se traduit par une incapacité personnelle, ménagère et/ou économique »[1].

 

Nous avons vu dans un précédent article, l’incapacité personnelle qui peut résulter d’un fait dommageable. Voyons de plus près ce que recouvre l’incapacité ménagère.

 

La définition donnée par le Tableau Indicatif de cette incapacité est la suivante :

 

« Atteinte au potentiel énergétique ou fonctionnel de la victime entrainant des répercussions sur son aptitude à l’exercice d’activités de nature domestique, économiquement évaluables.

 

Peuvent notamment être considérées comme tâches ménagères : l’éducation des enfants, l’entretien de l’habitation et du jardin, les achats ménagers et les déplacements y liés, la préparation des repas, l’entretien des vêtements, la gestion administrative et budgétaire du ménage, le soin des animaux de compagnie ».

 

Concrètement, il s’agit de l’incapacité subie par la victime à exécuter l’entretien de son habitation et du jardin; à éduquer ses enfants au sens large ; à  préparer les repas ; à s’occuper du budget du ménage ; etc.

 

De cette notion, sont exclues les taches professionnelles, les activités sportives et les loisirs, lesquels sont indemnisés dans un poste distinct.

 

Deux périodes d’incapacité doivent être distinguées : d’une part, l’incapacité ménagère temporaire et d’autre part, l’incapacité ménagère permanente.

 

L’INCAPACITE MENAGERE TEMPORAIRE

 

L’incapacité ménagère temporaire est l’incapacité ménagère subie jusqu’à la date de la consolidation de l’état de santé de la victime. Cela signifie que jusqu’à cette date, le médecin qui évalue l’état de la victime estime que son état de santé est encore susceptible d’évoluer.

 

L’indemnisation de préjudice ménager temporaire tient compte des éléments suivants :

 

  • Les différents taux successifs d’incapacité retenus par le médecin ;

 

  • Le nombre de jours d’incapacité durant lesquels la victime est en incapacité ;

 

  • La composition du ménage de la victime ;

 

  • La répartition des activités de nature domestique dans le ménage de la victime.

 

Selon le Tableau Indicatif de 2016, l’incapacité ménagère temporaire peut être calculée de la manière suivante : :

 

  1. Calcul de l’indemnité à allouer par jour :

 

  • Indemnité forfaitaire de base de 20,00 euros par jour à 100 % d’incapacité
  • A ce montant de 20,00 euros, il convient d’ajouter 7,00 euros supplémentaire par enfant à charge.
  • L’indemnité journalière est ensuite majorée en fonction de la contribution fournie par chaque partenaire dans le ménage.

A défaut d’éléments concrets, la contribution est ventilée à concurrence de 65 % pour la femme et de 35 % pour l’homme.

 

  1. L’indemnité obtenue est ensuite multipliée par le nombre de jours durant lesquels la victime est en incapacité, à ce taux-là.

 

Exemple : Paul marié et père de deux enfants mineurs est victime d’un accident le 1er février 2018. L’expert lui reconnaît une incapacité ménagère temporaire de 20% du 01.02.2018 au 01.03.2018, date de la consolidation.

 

  1. Indemnité de base par jour à 100% = 20,00 euros

Paul a deux enfants : 20,00 + (7,00 euros x 2) = 34,00 euros/jour

Paul est un homme en ménage et ne dépose pas d’éléments concrets en vue d’évaluer son dommage.

34,00 euros x 20% x 35% =  2,38 euros

 

  1. Du 01.02.2018 au 01.03.2018 = 29 jours

29 jours x 2,38 euros = 69,02 euros

 

Pour la période du 1er février au 1er mars 2018, Paul peut solliciter une indemnité de 69,02 euros.

 

Cette méthode de calcul n’est pas contraignante. En fonction des éléments concrets propres à chaque affaire, les montants peuvent être soit revus à la baisse ou soit revus à la hausse.

 

Il appartient à la victime la charge d’apporter des éléments concrets permettant de modifier la ventilation prévue dans le Tableau Indicatif. Il peut démontrer, par tous moyens de droit, que la réparation des tâches ménagères ne correspond  aux taux de 65% et 35% retenus respectivement pour une femme et un homme.

 

En effet, chaque famille peut répartir les activités ménagères de manière différente. Un homme peut effectuer autant, voir plus de tâches ménagères que sa partenaire.

Ainsi qu’il fut rappelé par le Tribunal de Police de Nivelles, « rien n'empêche actuellement un homme de réclamer plus que cette partie en fonction de l'évolution de la société et de l'implication normale et courante des hommes dans les tâches ménagères telles que courses, vaisselle, nettoyage, occupation des enfants, repas ... etc.) ».

 

De même, il se peut qu’un de deux partenaires effectue exclusivement les activités ménagères.

 

Le Tribunal de Première Instance francophone de Bruxelles a jugé qu’une mère de famille mariée, sans emploi et dont le mari était souvent en déplacement professionnel et ne participait quasi pas aux activités du ménage, supportaient entièrement les tâches ménagères, en ce compris l’éducation des enfants[2].

 

Pour apprécier le préjudice ménager, les juridictions tiennent également compte de l’âge des enfants et leur possibilité de participer aux activités ménagères.

 

Ainsi, le juge peut considérer qu’un enfant majeur est en âge de participer aux tâches quotidiennes du ménage et qu’en conséquence, un pourcentage de ces taches doit lui être attribué.

 

Dans une affaire où une mère isolée fut victime d’un accident, le Tribunal de Première Instance de Liège a jugé ce qui suit :

 

« Il est raisonnable de retenir que les tâches ménagères ont pu être partagées  pour moitié entre elles au cours de cette période, dès lors que la fille de Madame L. était âgée de 25 et 26 ans à cette époque »[3].

 

En revanche, le Tribunal de Police de Nivelles n’a pas retenu une participation éventuelle dans les tâches ménagères d’enfants majeurs âgés de 21 ans et en conséquence, n’a pas ventilé l’indemnité à octroyer à un père de famille[4].

 

L’INCAPACITE MENAGERE PERMANENTE

 

L’incapacité ménagère permanente est l’incapacité ménagère subie par la victime à partir de la date de la consolidation de son état de santé. 

 

L’incapacité ménagère permanente peut être évaluée selon différentes méthodes d’indemnisation : la méthode forfaitaire, la capitalisation ou encore la rente.

 

La méthode forfaitaire

D’après le Tableau Indicatif de 2016, l’incapacité ménagère permanente peut être calculée sur la base de la méthode forfaitaire en tenant compte de montants de référence. Ces montants sont indiqués dans le Tableau Indicatif, et sont fonction de l’âge de la victime à la date de la consolidation de l’état de santé de la victime.

 

Le calcul selon la méthode forfaitaire s’effectue de la manière suivante :

 

  1. Montant de référence indiqué dans le Tableau
  2. Multiplié par le taux d’incapacité retenu par le médecin
  3. L’indemnisation obtenue est ventilée en fonction de la contribution de la victime dans les activités ménagères (cfr. détails ci-avant).

 

Outre la référence aux montants forfaitaires du Tableau Indicatif, le juge peut attribuer un montant qu’il évalue ex æquo bono.

 

Ainsi jugé par la Cour d’Appel d’Anvers dans un arrêt du 7 mai 2014 :

 

« Pour l’indemnisation du préjudice ménager permanent de 20 %, la cour estime notamment que chiffrer ce dommage au moyen d’un montant fixe sur la base d’une méthode de capitalisation jusqu’au terme de la durée de vie probable n’est pas indiqué en raison d’une multitude de facteurs et estime ce préjudice ex aequo et bono à 20.000 EUR, intérêts compensatoires compris »[5] .

 

De manière générale, les juridictions recourent majoritairement à la méthode forfaitaire lorsqu’il s’agit de réparer le préjudice ménager pour le motif que la composition familiale de la victime est susceptible de varier dans le temps, après la date de la consolidation.

 

Exemple : Un père divorcé de deux enfants, âgé de 29 ans, rencontrera probablement une partenaire par la suite. Si au moment de l’accident il s’occupait à 100% des activités du quotidien, il pourrait partager avec cette future partenaire ces tâches à l’avenir. (Mais rien n’est moins sur …)

 

Ainsi, le Tribunal correctionnel du Luxembourg a jugé ce qui suit :

 

« Un montant forfaitaire doit être alloué pour l'incapacité ménagère lorsque, compte tenu du fait qu'il est impossible de déterminer quand le fils s'installera ailleurs, ni si la vie en couple perdurera jusqu'au décès, ni quelles auraient été les capacités ménagères de la victime à la fin de sa vie en l'absence de l'accident, il subsiste trop d'incertitudes pour recourir au système de capitalisation »[6].

 

           

La méthode de la capitalisation

 

L’incapacité ménagère permanente peut également être calculée sur la base de la méthode de la capitalisation.

 

Pour calculer l’indemnité, il y a lieu de distinguer le dommage passé et futur, la date pivot est celle de la décision judiciaire ou de la transaction.

 

Selon le Tableau Indicatif de 2016, le dommage passé est calculé de la manière suivante :

 

  1. Montant de l’indemnité journalière de base (celle-ci se calcule de la même manière que l’indemnité journalière du préjudice ménager temporaire).
  2. Multiplié par le nombre de jours écoulés entre la date de la consolidation et la date probable ou effective du jugement ou de la transaction.

 

Reprenons le même exemple mentionné ci-avant :

Il peut être alloué à Paul une indemnité journalière de 2,38 euros.

L’expert lui a reconnu une incapacité ménagère permanente de 10% à compter du 02.03.2018, soit la date de consolidation.

La date pivot est le 15.12.2018.

Le nombre de jours entre la date de la consolidation et la date pivot est de 289 jours. 

Calcul : 2,38 euros x 289 jours = 687,82 euros

La somme de 687,82 euros peut être allouée à Paul, à titre de dommage passé.

 

Le dommage futur est calculé de manière suivante :

 

  1. Evaluation de l’âge de la victime à la date pivot
  2. En fonction de cet âge, et sur la base des Tables qui sont retenues par la victime, un coefficient est obtenu
  3. Le coefficient est multiplié par l’indemnité journalière forfaitaire ((celle-ci se calcule de la même manière que l’indemnité journalière du préjudice ménager temporaire).
  4. Le montant est ensuite multiplié par 365 (jours).

 

Le montant obtenu est le montant qui est alloué à la victime à titre de dommage futur.

 

La méthode de la rente sera vue dans un post ultérieur.

 

[1] (« Tableau indicatif 2016 », in Les dossiers du journal des juges de paix et de police, Bruxelles, la Charte, 2017, p. 5).

[2] Trib. Bruxelles (77 e ch)., 31 mai 2016”, RGAR 2017, nr. 5, 15391-15402.

[3] Trib. Liège (div. Huy), 12 octobre 2016, T. Pol. / J.J.Pol. 2018, nr. 1, 38-44

[4] Trib. Pol.  Niv elles (3e ch.), 12 septembre 2013, JLMB 2014, nr. 3, 127-131

 

[5] Anvers (2 ech. bis), 7 mai 2014, Bull. Ass., 2015/3, p. 354-361.

[6] Tribunal correctionnel Luxembourg, division de Marche-en-Famenne, 29/10/2014, J.L.M.B., 2014/38, p. 1810-1812.

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