LE FAIT DU PRINCE
Par arrêté Ministériel du 18 mars 2020, le Ministre de la Santé et l’Intérieur a pris différentes mesures d’urgence en vue d’endiguer la pandémie du Coronavirus.
Parmi celles-ci, les entreprises considérées comme non essentielles qui sont dans l’impossibilité de mettre en place le télétravail de ses travailleurs ou d’assurer le respect d’une distanciation sociale de minimum 1,5 m, doivent fermer.
Cette décision prise par une autorité publique indispensable à la santé publique peut avoir un impact sur les différents contrats conclus par ces entreprises. Celles-ci se retrouvent empêchées de respecter leurs engagements vis-à-vis des leurs cocontractants.
Leur responsabilité ne pourra pas, en principe, être engagée pour non-respect des obligations contractuelles puisque cela est dû à un « fait du Prince ».
QU’EST CE QUE LE FAIT DU PRINCE ?
Le fait du Prince est une décision prise par une autorité publique susceptible d’empêcher l’exécution d’un contrat.
Selon la Cour de Cassation, « le fait du prince est, à titre de cause étrangère, libératoire lorsqu’il constitue un obstacle insurmontable à l’exécution de l’obligation et qu’aucune faute du débiteur n’est intervenue dans la genèse des circonstances réalisant cet obstacle »»[1].
Il convient toutefois d’être attentif au fait que le fait du Prince n’autorise pas le débiteur à s’exonérer comme bon lui semble. Encore faut-il que la décision constitue un obstacle absolu et insurmontable pour le débiteur de l’obligation.
C’est ce que rappelle notamment P. VAN OMMESLAEGHE, « l’ordre ou la permission de la loi (ou « du prince ») ne constituent cependant pas des faits justificatifs absolus. D’une part, l’ordre de la loi doit être exécuté sans imprudence et sans abus »[2].
Dans le cadre d’un contrat synallagmatique, lorsqu’une partie invoque le fait du prince, c’est généralement la théorie des risques qui s’applique.
LES CONSEQUENCES D’UN FAIT DU PRINCE
La théorie des risques et ses conséquences sur le contrat ont été abordées dans le cadre du post sur la force majeure.
Selon la doctrine, « la théorie des risques suppose qu’une ou plusieurs obligations prévues par un contrat synallagmatique soient devenues impossibles à exécuter par suite d’un événement de force majeure : ces obligations s’éteignent en vertu du droit commun en sorte que la partie débitrice ne doit plus les exécuter et qu’elle ne commet en cela aucune faute »[3].
- LE FAIT DU PRINCE CONSTITUE UN OBSTACLE DÉFINITIF : DISSOLUTION DU CONTRAT
Lorsque le fait du Prince constitue un obstacle définitif à la poursuite du contrat, cela entraine la dissolution du contrat.
L’intervention d’un juge n’est pas nécessaire, la dissolution a lieu de plein droit.
La dissolution du contrat s’opère sans rétroactivité[4]. Toutefois, si le contrat a été partiellement exécuté, « il faudra, le cas échéant, faire un compte de la situation à ce moment en appliquant la théorie de l’enrichissement sans cause »[5].
Si la force majeure n’affecte qu’une partie des obligations de l’une des parties, l’autre partie peut solliciter que le contrat soit maintenu moyennant une adaptation de celui-ci ou la dissolution du contrat.
« Toute impossibilité partielle d’exécution ne donne pas nécessairement lieu à une réduction des engagements réciproques ; encore faut-il, en effet, que la convention soit divisible et que le « reliquat contractuel » revête encore une utilité »[6].
Enfin, la dissolution du contrat n’est ni d’ordre public ni impératif. Ainsi, une clause conventionnelle peut adapter les effets de ce type de cause exonératoire sur le contrat.
- LE FAIT DU PRINCE CONSTITUE UN OBSTACLE TEMPORAIRE : SUSPENSION DU CONTRAT
Lorsque le fait du prince cause un obstacle temporaire, cela entraine la suspension du contrat.
La Cour de cassation a consacré l’effet suspensif de la force majeure temporaire dans les termes suivants : « la force majeure, qui empêche une partie de remplir ses obligations, suspend l’exécution de tous les engagements nés d’un contrat synallagmatique, lorsque cet empêchement n’est que temporaire et que le contrat peut encore être utilement exécuté après le délai convenu ; […], pourtant, […] si la force majeure persiste, de sorte que cette dernière condition n’est plus remplie, le contrat est dissous de plein droit »[7].
QUELQUES CAS D’APPLICATION
- Appliqué à un contrat de bail, le fait du Prince peut libérer le bailleur de son obligation, à savoir maintenir le bien loué pendant toute la période du bail dans un état conforme à sa destination initiale.
« S’il s’agit d’un trouble de jouissance suite à des travaux régulièrement exécutés par l’autorité publique (abaissement ou exhaussement du niveau de la rue, ouverture d’une rue nouvelle, détournement d’un cours d’eau supprimant l’alimentation d’une usine...), il n’y a pas trouble de droit, puisque l’Administration n’invoque aucun droit sur la chose louée, ni vice de la chose, mais trouble de fait. Le bailleur ne doit donc pas en répondre.
Cependant, ce « fait du Prince » peut constituer un cas de force majeure rendant impossible l’exécution par le bailleur de ses obligations, et la théorie des risques trouvera à s’appliquer (infra, nos 553 et s.) (1).Les nouvelles dispositions légales ou réglementaires imposant l’obligation d’exécuter des travaux d’aménagement au bien loué, pour en maintenir l’usage à la destination convenue, sont à considérer comme le fait du Prince pouvant entraîner l’application de l’article 1722 (2). La réquisition constitue également un fait du Prince dont le bailleur n’a pas à répondre mais qui donne lieu à application de l’article 1722 du Code civil : il y a, le cas échéant, perte totale ou partielle de la chose louée (infra, nos 553 et s.) (3) »[8].
Dans le cas d’un locataire, celui-ci pourra être libérée d’exécuter le contrat de bail s’il est confronté à un fait du Prince.
« La nationalité du locataire n’altère donc pas en principe la capacité pour prendre à bail un immeuble (1). Lorsqu’un étranger a pris à bail un immeuble pour y résider et que la commune lui refuse l’inscription au seul motif de sa nationalité, il a été jugé que ce refus pouvait être considéré comme un fait du Prince justifiant la résolution du bail (2) ».[9]
- Appliqué à un contrat de travail, le fait de Prince peut être un fait constitutif de force majeure entrainant la rupture du contrat.
La Cour du Travail de Liège[10] fut saisie d’un litige concernant la décision prise par un hôpital de rompre le contrat de travail d’un steward, engagé en vue d’assurer des missions de surveillance et de protection de biens mobiliers ou immobiliers et des fonctions de surveillance et de contrôle de personnes dans des lieux accessibles au public.
Suite à la communication d'une circulaire émise par le SPF Santé publique, l'hôpital avait introduit une demande d'autorisation de service interne de sécurité auprès du SPF Intérieur.
Le SPF Intérieur annonça que travailleur ne remplissait pas les conditions prévues par la législation ad hoc et invita l'hôpital à « mettre fin immédiatement à toute tâche que cette personne remplirait dans votre entreprise et à me confirmer par écrit, endéans les cinq jours à dater de la réception du présent courrier, que l'intéressé ne remplit (plus) aucune fonction dans votre entreprise ».
L’hôpital mit dès lors fin au contrat de travail du travailleur en invoquant le fait du Prince.
Le travailleur contesta cette décision et sollicita la condamnation de son employeur à lui payer une indemnité compensatoire de préavis ainsi que des indemnités pour licenciement abusif.
Le travailleur fut débouté de sa demande tant en premier instance qu’en degré d’appel. La Cour du Travail confirma la régularité de la fin de contrat du travail en raison d’un fait du prince constitutif de force majeure. En effet, il s’agissait d’un événement imprévisible pour l’employeur qui n’avait aucun motif de penser que l’autorisation qu’elle demandait pour le travailleur serait refusée.
[1] Cass., 18 novembre 1996, Pas. 1996, I, 121
[2] Van Ommeslaghe, P., « Section 3 - Les causes d’exonération de la responsabilité » in Tome II – Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 1421-1444
[3] Van Ommeslaghe, P., « 2. - La théorie des risques » in Tome II – Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 865-872
[4] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, II, op. cit., p. 816, n o 848.
[5] La théorie de l’enrichissement sans cause est un quasi contrat consacré par la jurisprudence, selon lequel une partie s'appauvrit corrélativement au fait qu'un autre patrimoine s'enrichit et ce, sans justification. Cette situation doit donner lieu à une restitution.
[6] Van Ommeslaghe, P., « 2. - La théorie des risques » in Tome II – Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 865-872
[7] Cass., 13 janvier 1956, Pas., 1956, I, p. 460
[8] Merchiers, Y., « Bail en général », Rép. not., Tome VIII, Les baux, Livre 1, Bruxelles, Larcier, 2014, n° 203
[9] Merchiers, Y., « Bail en général », Rép. not., Tome VIII, Les baux, Livre 1, Bruxelles, Larcier, 2014, n° 71.
[10] Cour du travail de Liège (5e ch.), 12/02/2014, juridat.